Je ne sais pas si c’est dû au fait que j’ai un Situs Inversus mais j’ai toujours été fascinée par la Science. Alors forcément, au moment de choisir mes études, je décide de tenter médecine. Enfin… Non. La vérité, c’est que j’étais inscrite en Droit et que la veille de la clôture des inscriptions, j’ai appelé ma mère depuis la colo où je travaillais pour la supplier d’aller m’inscrire car j’avais peur de regretter.
Heee ben… Ça, les mecs… Pour ne pas regretter… Je ne suis pas déçue du voyage.
Petite précision, pour ceux qui ne connaissent pas : la 1ère année se termine par un concours. Qu’on ne peut passer que 2 fois. Autant vous dire que l’esprit de compétition monte UN TOUT PETIT PEU à la tête.
Dès les premiers jours, le message est clair : je ne suis pas à la fac, je viens d’intégrer les Hunger Games de la médecine. Chacun fera TOUT pour aller au bout (et éventuellement, pour que les autres n’y aillent pas). Les participants sont divisés en 2 clans clairement identifiés :
- les primants, qui débarquent. Leurs armes : la motivation, la fraîcheur et l’inconscience.
- les doublants, qui n’ont plus le droit à l’erreur et qui sont prêts à tout pour obtenir leur place en 2ème année. Leurs armes : la connaissance des coutumes des Hunger Games, l’absence totale de pitié et surtout, l’arme absolu : ils ont DÉJÀ les cours !
Chapitre 1 : L’arène (cet endroit ressemble à tout sauf à un amphi)
J’arrive le matin, quelques minutes avant le début des cours. De ce que je vois, les doublants sont probablement arrivés la veille pour réserver toutes les places de devant. La moitié d’entre eux est déjà assise, l’autre a étendu des écharpes pour réserver des tables. Heu… Ok… Je ne vois absolument pas l’intérêt mais ok. Du coup, je m’installe au fond. Le prof entre. Et là… LÀ je comprends pourquoi la place qu’on occupe est déterminante. Dès qu’ils le voient, les doublants se mettent à crier, ils l’acclament presque… Des fans de Johnny un soir de concert sous la tour Eiffel. Lui (Le prof. Pas Johnny), tente de prendre la parole mais je n’entends absolument rien. Le son de sa voix est couvert par les rires et les cris d’animaux (oui oui)… Et quand enfin, le « calme » se fait (ne vous faites pas d’illusions non plus, dans les Hunger Games, le calme n’existe pas vraiment. Les doublants sont obligés de reprendre leur respiration entre 2 hurlements), ce n’est que pour l’entendre dire :
— À chaque fois, je ne comprends pas pourquoi vous venez. Ça ne sert à rien. Les doublants, vous avez déjà les cours. Les primants, vous ne pouvez pas suivre vu que les doublants font tout pour vous en empêcher. Mais bon, puisque vous êtes là…
Petit aparté : mon père a du mal à me croire quand je lui décris l’arène. Je finis donc par enregistrer un cours au dictaphone et je lui fais écouter en rentrant :
— T’es dans la rue là.
— Non.
— Mais le cours n’a pas commencé…
— Si
— Oh….
Et comme si ça ne suffisait pas, en plus du bordel ambiant, l’arène est située dans un couloir aérien. L’A6 des avions en papier un WE de chassé-croisé juillettistes/aoutiens : absolument TOUS les prospectus disponibles dans la fac sont réquisitionnés pour composer une flotte dont l’objectif est simple : toucher le prof. En fin d’heure, on ne voit plus le sol (mais je viens d’apprendre comment propulser un avion efficacement. Je ne suis pas venue pour rien).
Tout ça pour dire que tenter de suivre un cours depuis le fond de l’arène est à peu près aussi efficace que de le faire avec de la musique à fond dans les oreilles. Par la suite, j’arrive donc chaque jour un peu plus tôt pour tenter de décrocher une place à l’avant (histoire que le son arrive jusqu’à moi, quoi. Je n’en suis même pas à essayer de comprendre de quoi il est question.). Au mieux, j’atteins le 5e rang. En partant du fond. En arrivant plus d’1h à l’avance. J’en conclue rapidement que quand tu rates ton concours la 1ère fois, on te remet une sorte de carte qui t’indique tous les passages secrets de la fac pour que tu puisses t’y introduire la nuit et réserver ta place.
Leçon 1 : soit tu dors dans l’arène pour t’assurer une bonne place le lendemain, soit tu viens avec des jumelles et tu apprends à lire sur les lèvres.
Chapitre 2 – Communication et traditions
Première semaine. Un cours est interrompu par l’arrivée d’un élève. Avec un grand sourire, il interpelle le prof depuis le fond de la salle…et lui montre son cul avant de le saluer et de ressortir.
Seul commentaire du prof, hilare :
— Il est passé en 2eme année, il est très content…
Ah. Mais heu… Je suis contente d’être en 1ere année : est-ce que, du coup, je dois aller montrer mes seins à mes profs de Terminale S ?? C’est quoi exactement ? Une sorte de rituel pour valider son passage ? Non, parce que si on doit voir passer les culs de TOUS les 2ème année, ça va être long… Faut peut-être se faire un planning ? Ou leur proposer d’envoyer une photo, je ne sais pas…
— … parce qu’il avait déjà manqué le concours une fois.
Oh putain..! Au moment où le mot « concours » sort de sa bouche, une rumeur sifflante s’élève. Je découvre un des modes de communication traditionnels des Hunger Games de la médecine (dans mon arène, en tout cas.) : à chaque fois que « concours » est prononcé, tous les doublants (mais ne leur jetons pas la pierre : les primants s’y mettent assez vite) scandent des « ksssss ksssssss » pour éloigner le mauvais oeil (quand je vous disais que l’esprit de compétition est un tout petit peu exacerbé…). Et attention : du « kssss » plus satanique que provençal, hein ! Et cette tradition se décline en une seconde version : chaque mot prononcé qui finit par le son « sion » est immédiatement suivi par une salve de « sélection séleksssion kssssss séleksssssiiiiiiooonnnnnnnn » hurlée par les doublants, possédés. Dit comme ça, c’est marrant. Mais croyez moi, sur place, les premières fois, on guette fébrilement l’arrivée d’un exorciste en regrettant de ne pas être venu avec un collier d’ail et un pieu. Mais bon… À force, comme ça arrive 30 fois par jour, on finit par s’y habituer. Il n’y a pas d’autre solution…. Sélection séleksssion SELEKSSSSIIIOOOONNNNNN !!!! (Oui oui, c’est systématique.)
Leçon 2 : débarquer dans les Hunger Games de la médecine est 10 fois plus dépaysant que d’arriver dans un pays étranger.
Chapitre 3 – Le ravitaillement
J’arrive à me faire une pote dans la promo. Une seule. Même au sein de mon propre clan. Bah ouais : chaque personne est susceptible de prendre ta place au concours – kkksssss KKKKsssSSS (systématique ET pénible, donc….) – donc c’est pas exactement la « grande famille du BDE ». HUNGER GAMES, je vous dis. Après quelques jours à manger des trucs vite fait autour de l’arène, on décide de s’aventurer un peu plus loin et de tenter le Crous. Alors qu’on discute dans la file d’attente quand un garçon nous entend et nous interrompt :
— Vous êtes en Médecine ?
— Oui
— Vous êtes primantes ?
— Oui, pourquoi ?
— Faites gaffe quand même… C’est un peu long de venir ici. Vous n’aurez plus de places dans l’amphi en revenant. Mais après, vous faites comme vous le sentez.
— Ah. Ok. Merci
Et effectivement, au retour, ne reste plus que le dernier rang.
Leçon 3 : tu oublies le Crous et l’idée de te nourrir de façon équilibrée (et tu pries pour que le boui-boui du coin ajoute un kébab légumes verts à sa carte)
Chapitre 4 : la sélection naturelle – séleksssion SELEKSSSSIIIOOOONNNNNN !!!! (Je l’ai un peu cherché celui-ci… Pardon)
Assise dans les derniers rangs (pour changer), j’essaie de suivre comme je peux (comprendre : j’essaie de lire sur les lèvres) quand un truc attire mon attention – sélekssion sélekSSIIONN (jamais ça ne s’arrête…). Un truc autre que les 50 Airbus en papier qui décollent toutes les 7 secondes, je veux dire. La fille assise devant moi a la tête qui fait des mouvements étranges, comme si elle ne la tenait plus. Et surtout, elle est vraiment très blanche. Je ne la connais pas du tout mais je lui tapote quand même l’épaule :
— Est-ce que ça va ?
—….
— Ça va ? Tu veux prendre l’air ?
— Non non, ça va, merci.
Sa voisine nous fusille du regard. Je me tais. Ça m’apprendra à me mêler de ce qui ne me regarde pas… N’empêche, elle était quand même très blanche. Elle l’est toujours d’ailleurs. C’est bizarre quand même, on dirait presque que… Ah oui, oui oui, c’est bien ça : elle lutte mais elle est à moitié en train de s’évanouir. Du coup, on ne se connait pas plus qu’il y a 4 secondes mais re tapotage d’épaule :
— T’es sûre que ça va ?
— Oui…. (Le oui le moins convainquant de la terre, donc.)
— Tu veux vraiment pas sortir ?
— Non non, merci
(Regard accusateur de sa voisine qui a visiblement décidé qu’une morte lui ouvrait une chance de plus d’avoir son année.)
— Je t’accompagne si tu veux…
— … Oui, je veux bien
On sort rapidement. Elle m’explique qu’elle a fait un don de sang mais qu’elle a oublié de prendre à manger et qu’ils n’avaient plus rien à lui donner. Je lui trouve un truc, j’attends avec elle que ça aille mieux et elle décide finalement de rentrer chez elle.
De retour dans l’arène, alors que je me réinstalle, la voisine excédée rapport au fait que je lui ai surement faire rater sa journée, son année et sa vie en parlant 20 secondes, se retourne :
— Comment elle va ?
— Pourquoi, tu la connais ?
— Oui, c’est une copine. Elle va mieux ?
— Tu lui demanderas directement, elle sera surement ravie de te répondre.
— Désolée, mais je pouvais pas sortir
— Ah bon.
— Après c’est super chaud de rattraper les cours. Personne te le passe.
— …. Hein ?!
J’imagine donc que cette personne préfèrerait regarder sa mère s’étouffer avec une patatoe plutôt que d’aller l’aider si ça lui faisait perdre sa place dans la file d’attente du McDrive. Hippocrate vient d’enchaîner pirouette, triple lutz, triple boucle piquée dans sa tombe (note technique : 9.4 – note artistique : 9.9).
Leçon 4 : même au sein de ton propre clan, quand tu penses pouvoir compter sur un peu de soutien, les Hunger Games, c’est comme X-Files : « Ne faites confiance à personne, monsieur Mulder ».
Leçon 4 bis : après enquête, effectivement, ce n’est pas simple de se faire prêter un cours. En général il faut l’acheter… Et il contient des erreurs. Ajoutées volontairement. (Pourquoi compter sur sa réussite quand l’échec des autres peut suffire…).
Petite information complémentaire : Hippocrate a participé au Trophée Lalique de 403 av. JC.
ÉPILOGUE
Après 2 mois, je suis prise d’une sorte de syndrome « C’était pas ma guerre » et je me rends compte que je n’ai rien à faire ici. On ne me verra jamais courir dans les couloir des Urgences en hurlant :
— On fait NFS, chimie, iono et vous l’emmenez à la radio !
Je pense que j’ai atteint la limite entre le réel intérêt pour la médecine et la vraie vocation – sélekssion séleksssssion SELEKSSSSIIIOOOONNNNNN !!!!- (c’est chiant, hein ?!). Et puis au même moment je découvre le théâtre. Je joue. Je commence à co-écrire ma première pièce. J’y passe mes nuits, dans un premier temps. Puis je ne vais en cours que pour profiter d’un bureau. Et quand, enfin, je mets le point final, je me lève et je quitte l’arène. Définitivement. (Et sans montrer mon cul, même si je suis très contente.)
Il n’y a que ma grand-mère qui soit vraiment déçue. J’ai le droit à un sympathique :
— Tu ne peux pas arrêter ! Tu ne peux pas faire ça à tes parents ! Tu vas être la honte de la famille !
Mais bon, comme ça vient de quelqu’un qui veut mettre mon chien au congelo, ça va, je relativise. Et puis, je ne m’inquiète pas, je trouverai rapidement une reconversion. – sélekssion séleksssSSSIONN SELEKSSSS-TA GUEUUUUUULE !!!
oui j’ai déjà eu ce retour sur la fac de medecine et franchement je trouve ca flippant et hallucinant !!! du chacun pour soi, pour faire medecine…on a peut etre trouver l’origine de l’expression (ksss ksss) « c’est l’hopital qui se fout de la charité » !! c’est un peu comme gagner une course en faisant un croche pied à ton voisin au départ.(ou en portant plainte contre le mec qui t’a mis un boulevard en athlé mais qui a enlevé son t shirt) .ca doit laisser un gout amer !
Belle mentalité quoi !!
Oui c’est très très bizarre de trouver ce genre d’esprit à cet endroit… J’imagine qu’après, les gens se calment 🙂 (j’imagine juste : je ne suis pas allée voir ;))
Ca donne envie d’y aller rien que pour leur donner l’occasion de TP en chirurgie urgentiste, à grands coups de batte dans les tibias… -_-
C’est fou, n’est-ce pas….
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