Ligne 3. 18h. Un banal trajet de métro République / Gambetta se transforme en looping cérébral allant des catacombes à la politesse de l’Abbé Pierre en passant par Hitler et les merguez.
RÉPUBLIQUE
L’homme assis à côté de moi joue des genoux et dégaine un quasi grand écart facial pour s’assurer que son fragile entrejambe voyage bien à l’aise (j’espère qu’il s’est échauffé parce qu’un premier freinage, c’est le claquage). Je pourrais tenter une lutte de territoire pour le sport (et pour l’éducation aussi, un peu) mais je suis trop captivée par la conversation de deux personnes devant moi (des collègues, il me semble). Ils se racontent leur programme de la semaine et sont tellement enthousiastes que le simple fait de les entendre parler me donne le sourire. Ils n’ont rien de spécial, n’en font pas des tonnes. Ils sont juste sincèrement contents et ça fait du bien. Lui est heureux d’avoir obtenu des places pour la conférence « Sapiens » de jeudi. Il va annuler sa visite des catacombes mais apparemment, ça en vaut la peine. Quant à elle, ça lui permet de découvrir que cette visite existe et qu’elle peut s’y inscrire. Elle décide d’y aller. Il faudra juste qu’elle pense bien à mettre des baskets et à prendre son appareil photo. Ça va être chouette. Lui s’y connaît en catacombes. Ils continuent à en parler quand soudain, Jean-Fragile-du-Slip intervient :
« Ça c’est le problème du boss ! »
Sursaut général. Le temps de comprendre qui parle et à qui il s’adresse, Jean-Fragile-du-Slip s’impatiente, pense qu’on ne l’a pas entendu et relance :
Jean-Fragile-du-Slip : Ça c’est le problème du boss ! C’est bien un truc de boulot dont vous parlez ?
Jean-Collègue, poli et souriant : Non, on parle exploration.
Jean-Fragile-du-Slip : Non mais y’a un boss. Y’a toujours un boss. C’est quoi l’histoire ? Tu voudrais changer un truc et t’as pas la main ? C’est toujours ça.
Jean-Frag’, en plus d’avoir un patronyme trop long, semble un peu chafouin quand il s’agit des patrons. Patient, Jean-Collègue rentre dans la conversation tout en essayant de couper court (Marie-Collègue, elle, regarde ses chaussures en réprimant un sourire).
Jean-Collègue : Non, pas vraiment. Là c’est plutôt un système de consensus.
Jean-Frag’ : Ouais mais t’as pas la main. C’est encore des histoires de cul ça. Si tu veux changer un truc, t’as toujours une meuf pour dire « Non, moi j’veux pas gnagnagna. J’ai pas envie ! »

Ça démarre fort. Accrochez-vous !
PARMENTIER
Vous ne m’en voudrez pas si je sors mon portable pour prendre quelques notes ? J’ai peur de perdre le fil assez rapidement. De son côté, ravi d’avoir trouvé un auditoire, Jean-Frag’ enchaîne.
Jean-Frag’ : C’est comme Macron, c’est pas un bon président. C’est pas la bonne personne. En plus il a mis n’importe quoi en Ministre de la Culture. Il a mis quelqu’un qui ne connait pas l’odeur du fumier (moi aussi, à cet instant, j’ai un peu buggué). Faudrait mettre un fermier en ministre de l’agriculture ! (c’est bon, le mec a raccroché les wagons entre culture et agriculture). Et puis la forme aussi c’est important. Mais le fond aussi. Regarde l’Abbé Pierre par exemple, il disait pas bonjour.
Ah ! Attends ! On attaque le dossier « Abbé Pierre », là ?

Je suis trop vieille pour ces conneries
Jean-Frag’ : L’Abbé Pierre, il disait « T’as 10 euros ? Donne-les moi » et il les donnait au mec qui faisait la manche. Et quand tu lui réclamais tes 10 euros, il te répondait « Viens chez moi, je les ai, je te les rends mais là, c’était important d’aider cette personne ». Il avait le fond mais pas trop la forme. Macron lui, il a rien. Il a des diplômes mais en fait, les diplômes, on les donne à qui on veut et ça veut rien dire. Regarde, les infirmières qui ont assisté à des opérations à cœur ouvert, elles en ont vu des centaines, c’est bon, elles pourraient le faire elles-mêmes mais comme elles ont pas le diplôme, elles peuvent pas. C’est notre société qui est comme ça.

Venez me chercher…
RUE SAINT-MAUR
Une dame se lève, sourit et souhaite bon courage à Jean-Collègue et Marie-Collègue avant de se diriger vers le quai, ce qui n’est pas du tout du goût de Jean-Frag’.

La dame a décidé de nous offrir un tour gratuit
Jean-Frag’ : C’est à cause de vous, madame, qu’il y a eu la Deuxième Guerre Mondiale !
Marie-Bon-Courage : Moi ?
Jean-Frag’ : Oui, parfaitement vous !
Marie-Bon-Courage : Ah super ! Bonne soirée !
Les portes se referment. Jean-Collègue pensait probablement être sorti d’affaire après cette petite diversion mais Jean-Frag’ ne compte pas en rester là.
Jean-Frag’ : Je sais que c’est pas vrai hein. Mais là je l’ai cassée parce qu’elle rigole. Pourquoi elle rigole comme ça, alors que je dis des choses vraies ? C’est idiot.
Jean-Collègue, toujours sympa : Parce que les gens n’ont pas l’habitude qu’on parle dans le métro, ça surprend un peu.
La conversation repart sur Macron et ses manquements.
PÈRE LACHAISE
Jean-Collègue se lève. Jean-Frag’ tente de lui délivrer un dernier message :
Jean-Frag’ : Allez, bonne soirée… Reste célib’. Reste célib’, hein !
Jean-Collègue marche vers la porte.
Jean-Frag’ : Reste bien célib’, c’est important ! »
La sonnerie retentit.
Jean-Frag’ : Et ne fais pas d’enfant !
Les portes se ferment. Jean-Frag’ se retourne soudain vers moi. Nos regards se croisent : je suis FOU-TUE.

Quand Jean-Frag’ croise mon retard
Jean-Frag’, à moi (quand je vous disais que j’étais foutue…) : J’ai essayé de lui dire… Faut pas faire d’enfant, après on n’avance plus. Il est gentil, j’ai essayé de le conseiller.
Moi, tentant de suivre l’exemple bienveillant de Jean-Collègue en répondant : Oui mais ce n’est pas forcément facile, comme ça, dans le métro.
Jean-Frag’ : Ah non, ça, ça change rien.
Moi : Ah, d’accord
Jean-Frag’ : Là, je lui ai retourné la tête. Moi je suis un manipulateur mais un gentil. Pas comme Hitler. Hitler, si tu l’avais croisé dans le métro, il t’aurait retourné le cerveau mais en mal. Alors que moi, c’est en bien. Mais je ne le fais pas exprès, je suis comme ça. Je fais des lavages automatiques. Tu m’amènes quelqu’un de ta famille de pas gentil, je vais lui dire « t’es méchant », je vais le mettre dans son miroir. Le mec, il va rentrer chez lui, il va boire, c’est obligé.
Moi : Ah, d’accord (j’ai un peu de mal à trouver quoi dire)
Jean-Frag’ : Tout ça c’est de l’amour en fait mais il y a 2 camps. Le vice et le bien. La religion aussi, c’est un vice. Les végétariens aussi c’est un vice. C’est des vicieux, les végétariens. Regarde : Hitler : végétarien, Himmler : végétarien, Jacques Brel : carnivore, L’abbé Pierre : carnivore. Il faut manger cinq viandes minimum par jour. Il y a les fruits et légumes mais moi je recommande aussi pour la viande. Le foie de canard c’est bien. Le steak haché aussi. Apres, tu peux manger de la merguez. C’est dégueulasse mais c’est un mélange. Au moins, t’as les 5 d’un coup, t’es tranquille.
Moi : Ah d’accord (estimez-vous heureux que j’arrive encore à parler)
GAMBETTA
C’est ma station.
Je veux descendre.
Quelqu’un a un petit sac à vomi ?
Je viens de lire, je suis morte de rire, merci !!