Au départ, l’idée, c’était juste d’essayer de faire un granola maison alors que je ne sais même pas si j’aime ça, que je ne sais pas cuisiner et qu’en plus, je déteste ça. Tu m’étonnes que ça a dérapé…
Je déteste faire la cuisine. Mais vraiment. Je peux faire 2 heures de vaisselle sans moufter mais cuisiner… Et ça englobe tout ce qui va avec :
- décider de ce qu’on va manger. (Si je m’écoutais, ça serait vinaigrette à la salade tous les jours. Et de temps en temps, un steak tartare parce que le Tabasco dans la salade, c’est pas super)
- faire les courses (tu as beau apprendre par cœur la disposition des rayons, il y a toujours un moment où les mecs décident de tout mélanger pour te faire courir 3 heures après le beurre)
- suivre les recettes (« clarifier les œufs », « faire blanchir », « chablonner » : y’a un mot par étape que je ne comprends pas, c’est carrément une langue étrangère),
- surveiller la cuisson (déjà, quand je lance une pyrolyse, j’ai peur de la foirer et je reste assise par terre devant le four pendant toute la durée du cycle alors si, en plus, y’a de la bouffe dedans…).
C’est pas compliqué, quand on me dit « Tu cuisines », j’ai des suées, je bégaie et j’ai le cerveau qui se met à tourner sous Windows Vista :
— La recette te dit quoi ?
— Beurrer le moule…. donc je beurre le moule ?
— Oui
— Avec du beurre ?
— …
Pourtant, depuis quelques semaines, les choses ont un peu changé : pour la naissance de Côtelette, mes parents nous ont offert un Thermomix. Le truc fait environ tout et moi, environ rien : c’est par-fait ! C’est donc comme ça que je me retrouve, dans un excès total de confiance, à me lancer dans la préparation d’un granola maison un dimanche à 19h30.
Un granola.
Maison.
Un dimanche soir.
Moi ?
A priori, tous les ingrédients sont réunis pour l’apocalypse : plus qu’à mettre tout ça en cuisine et laisser reposer.
Tic. Tac. Tic. Tac.
Je me lance. Pas question de traîner : ensuite, je dois enchaîner avec un plat quinoa / brocolis / sauce chèvre échalote pour le dîner (la meuf est devenue complètement dingue). Je dégaine les graines, le chocolat, la compote de pomme. J’envoie le Thermomix se faire voir quand il insiste pour me faire ajouter de la cannelle (faut pas déconner). J’enchaîne les étapes et j’arrive même à nettoyer mon plan de travail au fur et à mesure. Je suis en roue libre totale, plus rien ne m’arrête. Tremble, Paul Bocuse ! Ça va faire 20 minutes que je suis dans cette cuisine, la recette est quasi terminée et aucune catastrophe n’a encore eu lieu. (Je n’ai même pas eu à poser la moindre question du genre « Ils disent de mettre une cuillère d’huile. C’est bien ça, une cuillère.. ? ») Même Marina est un peu impressionnée (plus par le fait que je sois encore en vie que par la partie purement cuisine qui revient, avouons-le, à verser des graines dans un pot et à mixer, soyons honnête. Mais quand même !). Debout à l’entrée de la pièce, elle observe mon petit manège, subjuguée par tant de virtuosité (c’est bon, je sais qu’elle attend le moment où je vais me planter un couteau dans le pied ! Laissez-moi croire 2 minutes qu’elle me regarde comme elle regarderait la finale de Top Chef !)
Tic. Tac. Tic. Tac.
Dernière étape : le four est chaud, plus qu’à y glisser la plaque de granola et c’est FI-NI. Bien entendu, j’ai attendu qu’il soit à température pour remarquer que j’y ai laissé une grille et qu’elle me gêne. Ni une ni deux, hop hop hop, j’attrape deux maniques, je la vire et je la pose… Heu. Attends. Je la pose où ? Le truc est brûlant, j’ai pas envie de tout abîmer.
— Sur le carrelage, ça craint ?
Tic.
— Non, pas du tout. Mais tu ne devrais pas la poser par terre, c’est un coup à te faire mal.
Tac.
— Mais non c’est bon, elle est loin.
Tic.
— Là elle va être dans ton chemin quand tu vas commencer à préparer le quinoa.
Tac.
— C’est bon, t’inquiète, je ferai attention.
Tic.
— (Marina donne tout. Parce qu’elle sait) T’es sûre ? Tu ne préfères pas plutôt la mettre…
Tac.
— Non, c’est bon. C’est parfait là.
Tic.
C’est bon, le granola est au four !
Tac.
Il faut juste que je vérifie le temps de cuisson.
Tic.
Je me retourne.
Tac.
Je fais un pas vers le Thermomix pour vérifier.
Tic.
J’ai précisé que j’étais pieds nus ?
Tac.
— Ah oui, 20 à 30 minuaaaAAAAAAaaaAAAAHHHHHHH !!!
— Qu’est-ce qu’il se passe ?! (Fais pas genre tu sais pas, Marina ! Tu le sais très bien ! Tu le savais AVANT que ça arrive !)
—POUSSE-TOI ! POUSSE-TOI !
Je me rue vers l’évier et d’un geste souple et désespéré, balance mon pied sous l’eau froide.
— Oh merde… T’as marché dessus ?
— Evidemment ! DE TOUT MON POIDS !
— Oh merde… Tiens, tu peux prendre Côtelette dans tes bras 2 minutes ?
— (Bien entendu, j’ai plus d’orteils, ce sont des merguez. Avec la trace du grill. Mais oui, je suis toujours opé pour prendre mon fils dans les bras ! Bon, en vrai, j’ai juste répondu « oui ») Oui.
Pendant que j’hésite entre le rire nerveux et le couinement de douleur (assez rapidement, j’opte pour les deux), Marina s’empare de la Biafine, me tartine le pied, le plonge dans un sac congélation qu’elle scotche à ma cheville et pose finalement le tout sur un bloc de froid récupéré au congélo (c’est là qu’on sent qu’on est faites l’une pour l’autre : je risque ma vie et elle la sauve. On s’organise, quoi).

Sans commentaire…
Petit à petit (très petit à très petit), la douleur se calme. Mais pas question de retirer le sac pour le moment. Je me promène donc dans l’appart avec le pied dans la marinade de Biafine. A chaque pas, je fais un petit bruit de plastique un peu humide. Discret mais présent. Suffisamment pour attiser la curiosité de Marie-Féroce.
Tic. Tac. Tic. Tac. (Vous aussi, vous le sentez venir ?)
Avec tout ça, Côtelette s’est endormi (tant d’action, ça épuise). Pendant que Marina va le déposer dans son berceau, je passe à la salle de bain.
« Squich Squich » fait mon pied.
« What ? What ? » fait Marie-Féroce.
« Tic. Tac. Tic. Tac. » fait mon karma.
Je range trois quatre trucs.
Tic.
Marie-Féroce me suit.
Tac.
Je bouge mon pied.
Tic.
Marie-Féroce s’approche.
Tac
« Squich Squich »
Tic.
Marie Féroce : « ALERTE ROUGE ! Y’a un truc qui fait squich squich et qui se trimballe sur mon territoire en toute impunité ! Il faut que ça cesse immédiatement ! »
Et c’est ainsi que notre héroïne se retrouva acculée dans sa salle de bain, coincée entre sa baignoire et un fauve sur-vénère, le pied emballé dans un sac congélo, avec pour seule arme de défense, une serviette de toilette.
— Marina…. MARINA !
— KKRRRRR (Quand Marie-Féroce crache, on dirait quand même un peu qu’elle grogne)
— *chuchottements de Marina* (rapport au fait qu’elle est en train de coucher un bébé et que hurler d’une pièce à l’autre n’est pas exactement la meilleure façon de ne pas le réveiller)
— Marina… J’ai un problème là.
— J’arrive.
Pied qui bouge légèrement.
« Squich Squich ».
Chat qui double de volume et montre les crocs.
— KKRRRRRR !!!!!
— Marinaaaaa, c’est maintenant !
— Qu’est ce qui… Oh merde (beaucoup de « oh merde » pour une seule soirée) !
On réussit finalement à me sortir de ce mauvais pas et je file me réfugier dans une autre pièce. Marina me rejoint quelques instants plus tard avec, à la main, la solution au problème (je vous l’ai dit : je risque ma vie, elle me sauve. C’est rodé, comme système).
Et voici comment on se retrouve, un dimanche soir d’août, le pied plongé dans la Biafine, le tout plongé dans un sac congélation, le tout plongé dans une Ugg, à avoir mal, chaud (et un peu honte…).
PS : Le granola est très bon. Pour mes orteils en revanche, ils sont cuits mais j’ai pas encore goûté donc je peux pas vous dire.