Je ne suis pas une grande fan des robes. Et elles me le rendent bien…
Révélation : j’ai longtemps été réfractaire au port de la robe. Totalement réfractaire.
A tel point que la première année où il a été question que j’en porte une au théâtre, j’ai tenté de lancer quelques alertes :
— On devrait peut-être faire des essais assez tôt, juste pour voir le rendu… Parce que vraiment, je suis assez mal à l’aise en robe. Et ça se voit.
— Mais non ! C’est dans ta tête ! Ne t’inquiète pas, ça ira tout seul !
Et forcément, le jour du 1er essai, à 15 jours de la première :
— On va répéter en costumes ! Caro, va mettre la robe. Garde ton jean dessous si tu es plus à l’aise, ça ne se verra pas (au passage, ça vous donne une idée de l’envergure du truc : une tenue de baronne allemande, gigantesque)
Retour de loge :
— (Moi) Je sais que c’est dans ma tête mais je pense quand même qu’on a un problème… »
Regards de toute la troupe.
Silence.
Rires contenus.
Fou rire.
Généralisé.
Incontrôlable.
Allongés par terre, les abdos à l’agonie.
J’ai l’air d’une poule qui aurait trouvé un couteau… Et à qui on aurait mis une put*** de robe !
— (La metteur en scène, optimiste) Je t’avais dit que tu pouvais garder ton jean en dessous !
— (Moi, en poule, en robe, en panique) Mais je l’ai gardé !
— (La metteur en scène, terrassée par le rire mais moins optimiste) Ah. Alors oui, on a un problème !
Et comme il était un peu délicat de jouer une baronne allemande en tailleur pantalon, j’ai laissé mon rôle… Soulagement mais petit échec personnel quand même. S’en sont suivies quelques années de travail, à essayer de mieux me tenir et à ne marcher que sur le rebord des trottoirs pour que ma démarche ressemble un peu moins à celle d’un marin sur un chalutier en pleine tempête.
Les années ont passé. Je ne maitrise pas le catwalk et je ne porte toujours pas de robe MAIS je suis capable de le faire. Et heureusement car cette année, ce n’est pas une mais trois robes que je dois porter sur scène. TROIS.
Forcément, ça implique des changements. Ça implique également de porter les chaussures qui vont avec et comme personne n’en a à ma taille (43, ça ne court pas les rues), pas même moi (43, ça ne court pas les magasins non plus), je me retrouve avec des paires 1 à 2 tailles trop petites. Mais ça c’est un autre problème.
Bref. Je dois donc changer de robe en cours de pièce. Plusieurs fois. Quoi d’exceptionnel, me direz-vous, quand on voit qu’à 87 ans, Madonna fait ça 10 fois par concert sans moufter. Rien, effectivement. Sauf quand on est moi. Et qu’on a le karma taquin.
Soir de Première.
Le public, la famille, le trac : tout le monde est au rendez-vous.
Dans cette salle, les loges sont loin de la scène. Les changements de costumes se feront donc juste derrière le rideau de fond.
La pièce commence.
Robe 1 : ok. Je n’ai pas de mérite : j’ai eu la moitié de l’après-midi pour l’enfiler. Les pieds, ça serre un peu mais ça va aussi. Pour le moment.
Changement pour la robe 2. Tout se passe bien. La 1 est un peu grande donc facile à retirer et je garde les mêmes chaussures. J’ai l’impression d’avoir les orteils pris dans des pièges à loup mais je suis dans les temps.
Arrive le changement de la 2 pour la 3. J’ai moins de 2 minutes pour le duo robe / chaussures. Tout se passe tellement bien depuis le début que je suis en confiance : je ne réfléchis pas, je fonce. D’un geste élégant, je jette ma jambe en avant pour retirer le premier escarpin… Qui reste collé à mon pied. Je ré essaie. Une fois. Deux fois. Trois fois. Je suis tellement serrée dedans que mon pied a littéralement fusionné avec !
Tant pis, je garde les chaussures, on n’aura qu’à m’amputer à la fin : le plus important, c’est la tenue. Et il me reste moins d’une minute !
J’attrape la robe que je porte, la remonte par dessus ma tête et la reti… Merde, pourquoi elle ne s’enlève pas ?! Bon… On n’est pas à l’abri que j’ai oublié de détacher un des boutons dans le cou..! Sauf que là, je ne vois plus rien, les gars ! C’est pas grave… Respire… Si Madonna y arrive alors qu’elle a probablement de la cataracte ET de l’arthrose, je peux le faire aussi. Il faut juste y aller doucement. Je tire sur le tissu pour dégager ma tête : le jupon résiste et ma coiffure vient avec ! J’ai réussi le petit exploit du tout coincer dans mes barrettes. Et je n’ai plus que 45 secondes. En comptant bien bien large. C’est merveilleux.
De l’autre côté du rideau, j’entends le texte qui défile. Dans la panique, j’arrive à virer un des escarpins. Oui, seulement un, mais il n’y a pas de petite victoire.
30 secondes.
Je suis en culotte, soutien-gorge, avec une robe coincée sur la tête, je ne vois rien et je ne porte qu’une chaussure : ON N’EST PAS BIEN, LÀ ?!
Je crie/chuchote (je cruchote quoi) pour essayer d’attirer l’attention d’un autre comédien (sauf que je ne vois toujours rien donc je ne suis même pas sûre que quelqu’un puisse m’entendre !). Mon coeur bat tellement fort que je pense qu’on peut le voir à travers ma peau. Ce qui est d’autant plus facile que je suis à poil.
20 secondes.
Franchement, laissez tomber, je vais juste rentrer sur scène comme ça. On s’en fout… Après tout, je joue une pute : c’est pas complètement déconnant. Je vais juste déposer mon amour propre dans un petit coin et le récupérer plus tard.
15 secondes.
Enfin ! J’entends une voix amie !
— Mais… Caro ! C’est à toi ! (Crois-bien que je suis au courant..!)
10 secondes.
Je ne sais pas comment il se débrouille mais en un instant, j’ai la tête à l’air libre. Je respire et j’y vois ! Je suis toujours à poil mais j’y vois !
— C’est quelle robe, maintenant ?
— La noire !
Pendant qu’il l’attrape et m’aide à l’enfiler, je sens des mains m’arracher la chaussure qui me restait (libéréeeeeee délivréeeeee !!!) et me passer la bonne paire. Rapide, efficace : j’ai l’impression d’être une Formule 1 qui passe au stand en plein Grand Prix !
3 secondes.
La robe est quasi en place. On attache mes chaussures. On va y arriver !
2… 1…
Non ! Attendez ! On y est presque !
0 !
Tant pis : je balance la 1ère réplique depuis la coulisse. Je récupère mon amour propre et j’avance sur scène pendant qu’on finit de remonter la fermeture de ma robe. Cette fois, c’est bon !
J’ai réussi le test ultime ! Accroche-toi bien à ton body à paillettes, Madonna : la relève est là !