Au début, c’est juste un groupe de collègues. On s’aime bien mais bon, on n’a pas nourri les poules de ma grand-mère ensemble non plus, donc on se tient un minimum… Jusqu’au jour où une innocente soirée karaoké s’achève en pyramide humaine sur « Girls just wanna have fun ».
Non, ce n’est pas ça le dérapage. Clairement ça aurait pu, mais non. C’est juste que ça crée des liens. On devient plus proches. On se confie
Un jour, l’une de nous raconte aux autres qu’elle craque sur un mec. Elle tourne autour du pot 15 secondes puis nous explique que c’est un manager de la boîte. Si on veut continuer à pouvoir disserter sur le sujet tranquillement pendant les pauses café sans risquer que ça s’ébruite, il n’y a qu’une solution : le nom de code. Nous appellerons ce garçon « Motus » (une sombre histoire de sonorité commune avec son nom à lui).
Autant vous dire que ça a rapidement dégénéré :
« Comment ça, tu lui as envoyé un sms ?? NON !! BOULE NOIRE !! Ooooh ! Ohohohooooo ! ».
Oui, oui, nous faisons les bruitages. Nous allons même jusqu’à fredonner le générique de l’émission quand ledit garçon est dans les parages.
LA MATURITÉ, T’AS VU !
Jusqu’au jour où l’une de nous craque. Toute cette histoire est allée trop loin : il est temps de passer à la vitesse supérieure, on ne peut plus reculer. Elle nous inscrit aux sélections de Motus sans nous prévenir. On sera 4 : 2 équipes de 2
Objectif de la mission : « Tirer une boule noire pour la copine amoureuse. » Ok.
Sauf que pour y parvenir, il faut passer les sélections.
On met un plan d’attaque en place.
Et là, tout s’accélère :
- On fait des tests pour épeler des mots. Conclusion : on est nulles.
- On télécharge le programme d’entrainement Motus (oui oui ça existe)
- On se voit le soir. On s’entraine dur.
- On se met à épeler tous les mots qu’on dit dans la journée : « Bonjour. B.O.N.J.O.U.R. On déjeuner ensemble ? Déjeuner : D.E.J.E.U.N.E.R ensemble : E.N.S.E.M.B.L.E »,
- On reçoit un mail du service informatique de la boîte qui demande à ce que tous les programmes installés sans autorisation sur les ordis soient désinstallés pour raison de sécurité. Capture écran d’un extrait de la liste des programmes en question à l’appui. Sur la capture, au milieu du reste : Motus (on est flag, mais fières).
- On tient tête, on ne désinstalle RIEN. On bosse ENCORE PLUS
- On n’épèle plus, on mitraille. On est des snipers de l’alphabet.
Le jour J arrive. On est à fond. Prêtes pour le grand rodéo ! Thierry, on va plonger dans ta piscine à boules et jongler avec les boules noires !
La moitié de la boîte est au courant et suit l’avancée de la journée sur Facebook. (tout en ne sachant pas bien pourquoi 4 nanas de l’entreprise se sont prises de passion pour cette émission au point de poser 1/2 journée de congés pour y participer…)
Je joue les Reporters sans frontières et poste presque en temps réel pour qu’ils n’en ratent pas une miette :
- « 9h01 : On vient de passer les grilles. »
- « 9h02 : On a croisé d’autres participants. Il n’y a pas que des vieux ! »
- « 9h03 : On commence à ne pas trop faire les fières… »
- « 9h04 : On va faire pipi pour la 7ème fois. Il n’y a même pas la queue (On est les seules à flipper, ou quoi ?) »
- « 9h05 : Qui peut nous rappeler pourquoi on a dit oui à cette idée débile ? »
On entre dans le studio.
On nous distribue une feuille :
« Ce sont quelques jeux sur le principe de Motus. Vous devez les faire par écrit en 3 minutes. En fonction de vos résultats, vous passerez à l’épreuve suivante. Ou non. »
Par écrit en plus ?? Easy ! On est des snipers, on t’a dit !
Jusqu’au moment où on lit la feuille….
LA PRESSION.
Mon flingue cerveau s’enraye. Je sens que je me plante mais je donne tout.
Je mets mon nom dans la marge et ils ramassent les copies.
Pendant qu’on attend les résultats, on fait un peu connaissance avec les autres candidats :
« Je suis champion de France de Scrabble. Mais ça veut rien dire, on n’utilise pas le même dico au Scrabble et à Motus » Ah.
« J’ai participé à Questions pour un champion le mois dernier » Ah.
Nous tout ce qu’on veux, c’est choper une boule noire pour notre pote, on ne cherche pas les embrouilles…. PUT THE CRAYON À PAPIER DOWN, NOW !
Les résultats tombent : mon binôme et moi, on est recalées.
Mais les 2 autres passent ! Et parmi elle, l’amoureuse ! On peut encore réussir la mission !
2ème étape des sélections : faire une partie de Motus, presque comme à la télé, pour voir si on réagit bien devant la caméra, debout devant un écran, à épeler des mots dont on n’est plus très sûrs de ce qu’ils veulent dire (si si, je vous jure, à force, ce sont juste des lettres et on se fout pas mal de savoir si on épèle un VRAI mot, pourvu que la langue ne fourche pas).
Tout se passe bien, les filles assurent.
Les mots s’enchaînent.
Jusqu’au dernier… et là… C’est le blanc.
L’une des deux l’a trouvé mais c’est au tour de l’autre, l’amoureuse, de deviner et on voit que ça ne vient pas. Qu’elle ne trouvera pas.
Nous aussi, dans le public, on l’a. On veut lui hurler pour que ça passe. Pour qu’elle l’ait, sa boule noire.
Et dans les dernières secondes, les regards se croisent. Le sourire en coin. La connivence. Elle comprend qu’il y a une connerie, qu’elle devrait le trouver, que c’est trop énorme. Et c’est elle qui le hurle dans le studio :
CHAUDIÈRE ! C.H.A.U.D.I.E.R.E. CHAUDIÈRE !
Oui, c’est LA nana qui est là parce qu’elle chauffe un mec qui tombe sur LE mot.
Rien que pour ça, elle aurait mérité qu’il lui tombe dans les bras.
MISSION ACCOMPLIE : l’amoureuse va avoir son lot de boules noires.
Les filles vont gagner la 1ère partie. On est fières.
Ça va un peu se compliquer par la suite. On va assister à l’épellation, 3 fois de suite, du mot « Manguire, M.A.N.G.U.I.R.E Manguire » alors qu’il fallait trouver MANGUIER (parce que Manguire n’existe pas, même si tu arrives à l’épeler sans te prendre la langue dans le tapis. Et même si tu fais les gros yeux à Thierry Beccaro la 3ème fois parce qu’il continue de te dire que non, ce n’est pas ça le mot à trouver).
Elles vont perdre au moment de la cagnotte, qu’on voulait remporter pour faire une méga fête.
Pas grave, on a fait la fête quand même !
Mais autant vous dire que depuis, j’y réfléchis à deux fois avant de donner un surnom.
Surnom S.U.R.N.O.M Surnom.